Words on the Word

Candlemas

Malachie 3:1-4: Qui pourra rester debout lorsqu’il se montrera?
Hébreux 2:14-18: Il est capable de porter secours à ceux qui subissent une épreuve.
Luc 2:22-40: Ils venaient offrir le sacrifice prescrit par la loi du Seigneur.

L’évangile de ce jour, plein de détails pittoresques, de beaux vieillards et de tourterelles roucoulantes, suppose un arrière-fond mystérieux et par conséquence ténébreux, car le mystère appartient au pénombre, ayant besoin du lever du Soleil de Justice pour éclore et manifester la lumière cachée en lui. Les parents de Jésus, dit Saint Luc, le présentèrent au temple pour accomplir ‘ce qui est écrit dans la loi’. Il s’agit d’une ordonnance qui remonte au 13e chapitre de l’Exode, le chapitre qui raconte le départ du peuple d’Israël d’Égypte. Le Seigneur vient de révéler aux égyptiens un signe terrible. ‘Au milieu de la nuit, il frappa tous les premiers-nés de l’Égypte, du premier-né de Pharaon jusqu’au premier-né du captif dans sa prison, et tous les premiers-nés du bétail.’ Tout le pays résonna de plaintes et d’ululations. Pharaon, jusque là sourd à tout appel, fit volte-face. Il convoqua Moïse et Aaron au milieu de la nuit et leur dit: Sortez au plus vite! Ainsi se termina, pour Israël, une servitude qui avait duré 430 ans. Ainsi s’inaugura le retour à la terre promise qui reste pour nous une image de salut, de la rédemption opérée par le Christ.

Le premier commandment que Dieu transmit à Moïse au moment de la sortie d’Égypte fut celui-ci: ‘Consacre-moi tous les premiers-nés parmi les fils d’Israël, car les premiers-nés des hommes et les premiers-nés du bétail m’appartiennent.’ Le contraste est fort: les premiers-nés d’Egypte voués à la mort, ceux d’Israël consacrés au Seigneur. Le Dieu à l’oeuvre ici, est-il un dieu jaloux qui aime ses élus et hait les exclus? Méfions-nous d’une caricature facile née de nos peurs, de nos blessures archaïques encore inilluminées par la grâce. Et réfléchissons un peu. Un premier-né, que représente-t-il? La continuation d’une lignée, la transmission d’un nom, la promesse que quelqu’un cultivera ce que j’ai semé. Le premier-né semble porter la promesse d’une immortalité relative: en lui je vivrai, même au-delà de ma propre mort. Or, qui n’est pas conscient des dérives fâcheuses que peut avoir une telle perspective si celui qui engendre considère le premier-né comme une prolongation de lui-même? Il l’accablera de ses attentes, le considèrera comme quelqu’un, même quelque chose, qui lui appartient. Au lieu de transmettre sa vie à l’enfant, il consume la vie de l’enfant pour en vivre. C’est une prétention blasphématoire, car l’homme se croit créateur. Il invoque des privilèges illusoires de toute-puissance.

Dès le début, Dieu a mis l’humanité en garde contre cette tendance. Lui seul est le maître de la vie et de la mort. Aucun homme n’est le propriétaire d’un autre homme; aucun parent possède la vie de son enfant. La pédagogie divine à cet égard est radicale, parfois féroce. Songeons au commandement donné à Abraham: ‘Prends ton fils, ton unique, celui que tu aimes, offre-le!’ Songeons à la nuit dans laquelle Dieu chercha à faire mourir Moïse jusqu’à ce que Cippora fit circoncire leur fils, le vouant au Seigneur. Rendre son enfant au Seigneur, dire, ‘il est à toi, non à moi!’, ça peut être très dur! Mais la consecration du premier-né est une loi universelle. Il faut reconnaitre la vie comme don de Dieu afin de délimiter la présomption humaine. L’anéantissement des premiers-nés égyptiens était une mesure extrême qui suivait neuf tentatives échouées d’appeler le peuple à la conversion. Plutôt que de punir, ce ‘signe’ manifesta une conséquence logique: qui refuse de reconnaitre Dieu comme Dieu se lance sur un chemin de mort; ses efforts de s’immortaliser seul se montreront mortifères; il fera le deuil de sa progéniture.

Évidemment, dans une perspective de foi, le dépouillement parental que comporte la consecration des premiers-nés cesse d’être un sacrifice imposé et devient un acte de confiance, d’action de grâce. Les maîtres de la peinture italienne ont eu raison en figurant la présentation du Seigneur baignée d’une douce lumière. Marie et Joseph, conscients de la grâce qu’incarne cet enfant singulier, le rend librement au Seigneur, à la fois comblés et démunis: une tension que chaque père, chaque mère connaîtra. Pourtant, l’oblation que représente l’évènement ne s’épuise pas dans leur don. De qui est-il Fils, le petit que Syméon contemple en exclamant: ‘Lumière!’? Jésus l’affirmera douze ans plus tard dans ce même temple quand il dit: ‘Il me faut être chez mon Père.’ La consécration de Jésus, dont le nom veut dire, ‘Dieu sauve’, est aussi un acte de dépossession de la part de son Père qui est au cieux. Le Fils unique, ‘qui est dans le sein du Père’, est livré dans les mains des hommes qui finiront par le clouer sur une croix en signe de contradiction, un signe qui nous demande tous les jours de nous positionner devant lui pour trouver, là, le sens de nos vie. Nous, moines et moniales, avons déclaré, une fois pour toutes, notre choix de rester consacrés à la lumière du Christ jusqu’à la mort que nous espérons également lumineuse. C’est une joie pour nous, en cette dernière fête du temps de Noël, une fête qui a un sens si profondément pascal, de renouveler notre don devant l’autel duquel nous recevrons, à la sainte Communion, le don de Dieu. Puisse notre existence être toujours signée par cet échange gracieux, ce commerce admirable, pour faire de nos vies une flamme qui révèle le Christ aux nations, apte à enflammer, par sa grâce, l’espérance de ceux qui habitent encore tristement l’ombre de la mort. Amen.