Words on the Word

33. Sunday B

You can find an English version of this text by scrolling down. Photos from the abbey are from the site of Nový Dvůr

Dn 12.1-3: En ce temps-là se lèvera Michel, le chef des anges.
He 10:11-18: pour les péchés un unique sacrifice.
Mc 13:24-32: Le ciel et la terre passeront.

Le livre de Daniel a structuré la sensibilité des premiers chrétiens. Le Nouveau Testament et plein d’échos de ce texte grandiose. Les thèmes de l’exil, de la captivité, de l’attitude vacillante du monde par rapport à la religion: cela correspondait à l’expérience des apôtres. Plus essentiellement, l’Église primitive retrouvait ici les figures d’un espoir réalisé en Christ — une prophétie de la présence de Dieu parmi les hommes, de la sanctification, de la résurrection des morts. Le livre de Daniel n’est pas pourtant une lecture rassurante. Il nous parle de la fin des temps et du combat cosmique. Il nous rappelle que notre existence en ce monde est éphémère, que toute entreprise humaine est relative par rapport à sa finalité, qui dépasse nos projections. L’Église est née d’un élan eschatologique résistant à toute sensiblerie. Il est bon d’en avoir conscience en face de la tendance actuelle qui veut faire de la spiritualité, voire de la théologie, une catégorie émotive. Le raisonnement et la transcendance cèdent la place au ressenti. La conséquence est évidente: nous nous enfermons dans un subjectivisme idolâtrique. Pas besoin pour cela d’idoles façonnés d’argent ou d’or: il nous suffit de nous regarder nous-mêmes dans une glace, ou dans notre téléphone portable.  

L’Église nous donne aujourd’hui l’image de Michel, chef des anges, se levant pour protéger le peuple de Dieu. Nous savons combien cette scène a formé la conscience des catholiques à travers une prière aimée qui débute avec ces cadences sonores: ‘Saint Michel Archange, défendez-nous dans le combat et soyez notre protecteur contre la méchanceté et les embûches du démon’. Léon XIII faisait de cette prière un élément constitutif de l’action de grâce après la messe dans le contexte de la perte des états pontificaux, vue comme une intrusion séculière sur le terrain ecclésiastique. Pie XI demanda que cette même prière soit dite pour la conversion de la Russie, en proie à l’idéologie communiste et athéiste. Dans les années 60 la prière disparaissait du culte, mais pas de la piété populaire. Jean Paul II la conseillait pour obtenir de l’aide dans la bataille ‘contre l’esprit de ce monde’. Notre pape François la prie, dit-il, chaque matin pour que Michel protège l’Église ‘des attaques du démon’. Notons l’identité fluide de l’ennemi contre lequel l’allié angélique est mobilisé. Il faut du discernment pour savoir quel est à une époque donnée le combat du Seigneur; pour distinguer cette grande cause universelle de nos petites peurs individuelles. 

Afin de bien combattre, il faut bien discerner. Le discernement est à la mode. On en parle beaucoup, trop peut-être, vu que discerner devient souvent un synonyme du verbe réfléchir: ‘Je discerne si je prends encore une tasse de caffè.’ Utilisée ainsi, la notion est inutile, dépourvue de sens. Comment pratiquer un vrai discernement?    

Michel, lui, sait où se situer dans les combats terrestres car il les voit d’en haut. Il considère les choses, autant qu’une créature même parfaite peut le faire, d’un point de vue divin. Le discernement exige que je renonce à mes idées préconçues pour reconsidérer la réalité entière à la lumière de Dieu. Le nom Michel signifie, ‘Qui est comme Dieu?’ Cela implique une relativisation de sa propre stature. Dieu, bien sûr, reste insaisissable et sublime; mais il a voulu, par grâce, laisser des traces intelligibles de son être, de son plan, de sa volonté. C’est significatif que Daniel évoque dans ce passage ceux qui sont ‘inscrits dans le Livre’. Il a en tête non pas autant une liste de réservations que les termes d’une élection ouverte, en principe, à tous. La béatitude, c’est savoir ce qui plaît à Dieu pour ensuite suivre sa volonté d’un coeur sans partage. 

‘Ceux qui ont l’intelligence resplendiront’, avons-nous lu. La Vulgate met plutôt, Qui docti fuerint, fulgebunt, liant la splendeur à l’érudition, à la connaissance de l’Écriture. Cette précision nous renvoie à ce que dit Jésus: ‘Le ciel et la terre passeront, mes paroles ne passeront pas.’ Si nous voulons vivre fidèlement au milieu des angoisses présentes, il faut d’abord connaître, comprendre et incarner les paroles du Seigneur, les prenant comme la mesure de notre vie, nous méfiant de ceux qui veulent les réduire à notre mesure de fourmilles souvent aveugles. Le Christ ne change pas. Il est le même aujourd’hui, hier et à jamais. Le renouvellement de l’Église, et par elle du monde, s’effectue non pas en adaptant ses paroles aux circonstances mais plutôt en conjuguant les circonstances par elles. Les moines ont toujours su cela, et c’est cette confiance en l’évangile qui donne au charisme monastique sa fraîcheur joyeuse à toute époque de vraie floraison, tandis que la décadence, ennuyeuse et murmurante, se manifeste en fonction d’une résignation au non-sens qui capitule au monde.

La perspective eschatologique de ces dernières semaines de l’année liturgique s’ouvre non pas pour nous faire peur, mais pour nous orienter. L’Église nous redit que l’histoire a un sens et va vers un but. Ancrés en la parole du Seigneur, tendus vers ses promesses, nous n’avons rien à craindre. Nous pouvons être porteurs de paix et d’espérance à un monde désespéré et craintif. Au son de la trompette finale nous nous réjouirons, car elle n’annoncera que la définitive victoire sur la mort de la vie qui déjà maintenant se prépare. Puissions-nous y collaborer avec toutes nos forces en toute épreuve. Amen. 

***

Daniel 12.1-3: At that time Michael, the great prince, will arise.
Hebrews 10:11-18: one single sacrifice for sins.
Mark 13:24-32: Heaven and earth will pass away.

The book of Daniel structured early Christian sensibility. The New Testament is full of echos of this grandiose text. Exile, captivity, and the world’s ambivalent response to revealed religion: these themes corresponded to the Apostles’ experience. More essentially, the early Church found here premonitions of a hope that had been realised in Christ, a prophecy of God’s presence among men, of sanctification, of the resurrection of the dead.

The book of Daniel is hardly reassuring reading, however. It speaks of the end of time and of cosmic battle. It reminds us that our life in this world is ephemeral, that all human enterprise is relative to its finality, which exceeds our projection.

The Church was born of an eschatological expectation that resisted sentimentality. It is good to be conscious of this right now, at a time which perceives spirituality, and even theology itself, as an emotive category. Reasoning and transcendences yield to feeling. The consequence is evident: we shut ourselves into an idolatrous subjectivism. There’s no need for idols of silver or gold — we only need to look at ourselves in the mirror, or into our mobile phones.    

The Church gives us today the image of Saint Michael, prince of angels, as he rises up to protect God’s people. We know how deeply this Biblical scene has formed Catholic consciousness by means of a beloved prayer that begins with this sonorous cadences: ‘Saint Michael the Archangel, defend us in battle. Be our protection against the wickedness and snares of the devil; may God rebuke him.’ Leo XIII made this prayer a mandatory part of the Church’s thanksgiving after Mass in the context of the loss of the papal states, perceived as secular intrusion onto the Church’s turf. Pius XI asked that the same prayer be said for the conversion of Russia, in thrall to atheist ideology. In the 60s it vanished for the public cult, but not from popular piety. John Paul II prescribed it as a means to implore assistance ‘against the spirit of this world.’ Our Holy Father Pope Francis recites it daily, he says, asking Michael to protect the Church ‘against diabolical attacks.’ Note the fluid identity of the enemy against whom the angelic ally is mobilised. It takes discernment to establish which are the Lord’s battles in a given period; to distinguish this universal cause from our our individual pet anxieties. 

To fight well, we must discern well. Of course discernment is all the rage. People speak a lot about it, too much, perhaps, given that discernment often is a synonym for mere deliberation: ‘I’m discerning whether to have another chai latte.’ Used in this way, the notion is useless and senseless. How then to discern in truth?

St Michael knows how to situate himself in earthly battles, given that he sees them from on high. He considers things, as far as a creature, even a perfect one, can, from the point of view of God. Discernment requires that I give up my preconceived ideas to reconsider things in God’s light. The name Michael means, ‘Who is like God?’ It implies relativisation of my stature. God, of course, remains unfathomable and sublime; but he has been pleased to leave, by grace, intelligible traces of his being, his plan, his will. It is noteworthy that Daniel evokes those ‘whose names are written in the book.’ What he refers to is not so much a list of pre-bookings as the terms of an election open, in principle, to all. What is beatitude, if not knowing what pleases God in order, thereupon, to follow his will with an undivided heart? 

 ‘The learned will shine as brightly as the vault of heaven’, we have read. The prophet links this brilliance to erudition, the knowledge of Scripture. His observation is related to what Jesus says: ‘Heaven and earth will pass away, but my words will not pass away.’ If we wish to live faithfully in the midst of present anguish, we must first of all know, understand, and embody the words of the Lord, taking them as the measure of our life, being wary of those who would reduce them to our measure of ants, blind ants, often enough. Christ does not change. He is the same yesterday, today, and for ever. The renewal of the Church, and through her of the world, comes about not by adapting his words to circumstances, but by letting our circumstances be convicted by them. Monks have always known this. It is this confidence in the Good News that invests the monastic charism with joyful freshness in each epoch of true flourishing, whereas decadence, boring and murmurous, occurs as a function of resignation to non-sense, as capitulation to the world. 

The eschatological perspective of these last weeks of the liturgical year is not intended to frighten us, but to give us direction. The Church restates that history unfolds towards a goal. Anchored in the Lord’s words, tending towards his promises, we have nothing to fear. We can be bearers of peace and hope to a hopeless, fretful world. At the sound of the last trumpet we shall rejoice, for it will announce the definitive victory over death of a life already burgeoning. May we collaborate with this victory in all our trials, with all our strength. Amen. 

Le Mont-Saint-Michel par un temps calme, image d’harmonie restaurée et gage des promesses futures.