Ord Om ordet

Kristi Kongefest

Daniel 7:13-14: Sa royauté est une royauté qui ne sera pas détruite.
Apocalypse 1:5-8: Il a fait de nous un royaume et des prêtres.
Jean 18:33b-37: En fait, ma royauté n’est pas d’ici.

Pendant cette semaine, j’ai lu la troublante biographie du Baron Otto von Wächter. Né en Autriche en 1901, il adhérait au mouvement national-socialiste dès la première heure, sûr qu’il poserait le fondement d’un monde nouveau. Sa carrière dans le parti nazi fut fulgurant, culminant en sa nomination, en 1942, comme gouverneur de la Galicie. Là il surveillait l’accomplissement de l’ainsi dite ‘solution finale’: l’extermination de la population juive. Après la guerre, Wächter échappa à la justice. Il trouva la mort à Rome en ’49, n’ayant pas pu réaliser son projet d’émigrer en Argentine. Il resta jusqu’à la fin attaché à ses convictions idéologiques.

Pourquoi l’évoquer aujourd’hui? A cause d’une lettre qu’il envoya à son épouse Charlotte le 27 juillet 1944, quand l’approche de l’Armée Rouge força les allemands à quitter la capitale de la province, Lemberg, une ville qui maintenant se trouve en Ukraine et s’appelle Lviv. ‘Je suis’, écrivit le baron, ‘un roi sans royaume.’ L’affirmation est monstrueuse. Il n’y avait rien de royal à la présence de Wächter en Galicie. Son intention était d’éliminer la population existante pour en établir une autre; il n’avait aucun sens d’obligation envers ses sujets. Sa prétendue majesté ne regardait que son idée de lui-même, marquée par la mégalomanie et le cynisme. 

L’image de Wächter renversé de son trône est quand même pertinente pour une réflexion contemporaine sur la royauté. La figure du roi tend à être, de nos jours, une figure sans entourage, souvent absurde. Nos systèmes politiques n’ont plus de place pour les monarques. Le titre royal, en Europe, est en grande mesure détenu par des princes d’antan, plus ou moins attachés à une réputation qui se perd dans la brume de l’histoire. Même les rois régnants ont un rôle symbolique; ce sont de gentils messieurs qui inaugurent des expositions, ouvrent des ponts nouvellement construits et font des voeux à la nation le 1 janvier. Ils agitent la main depuis des balcons ornés pendant les festivités nationales, mais sont presque entièrement dépourvus d’un réel pouvoir. Alors, le Christ Roi, est-il un roi décoratif de cette espèce, ou un roi déposé?

A regarder la place qu’a l’Église dans notre société, et la manière dont cette même Église se profile, on est tenté de répondre: Eh oui. Dans la vie ecclésiale d’aujourd’hui, il n’y a rien de majestueux. Au contraire, l’Église semble traîner dans la boue à cause de crimes commis par des personnes consacrées pour être des ambassadeurs du Roi mais qui se sont montrées ses assassins, le mettant à mort en la personnes de ses plus petits. Beaucoup d’hommes et de femmes, parmi eux des gens très droits, tournent leur dos au Roi avec dégoût. Tant de belles choses paraissent cassées, comme la précieuse statue du Roi, faite de porcelaine, qu’une moniale passe à Soeur Blanche de La Force dans la pièce de théâtre de Bernanos, Les Dialogues des carmélites. Sachant Blanche angoissée, la moniale dit: ‘J’espère qu’il vous donnera courage!’ A ce moment, le brouhaha de la rue fait sauter Blanche. Elle perd la statue, qui se casse au sol de pierre du couvent. Elle s’écrie’ ‘Le petit roi est mort!’ Mes frères et soeurs, c’est un sentiment dans lequel nous pouvons nous reconnaître.

Mais c’est un sentiment trompeur! N’y cédons pas! Notre Roi n’est pas mort. Il a mis à mort la mort. Il vit et règne. Nous devons pourtant ajuster nos idées de sa royauté. Nos lectures nous aident. Elles nous rappellent la première proclamation du Christ Roi. Elle a été faite, semble-t-il, par ironie, appliquée à un homme qui avait tout perdu, même ses amis les plus intimes. Le Christ se trouve seul au prétoire, devant Pilate, terriblement seul. Encore plus grande est sa solitude au Calvaire. Avec quelle dignité il l’endure! Même humilié, le Prince de la Paix rayonne la paix, ses bras ouverts dans un geste éternel d’accueil. Nous l’acclamons Roi là, dans sa kénose, et pas ailleurs. Il nous a délivrés, dit Saint Jean dans l’Apocalypse, de nos péchés par son sang qui coule d’une source intarissable. Réunissons-nous autour de cette source, et pas ailleurs. Le coeur du Roi, percé par une lance, reste ouvert. Son royaume se constitue là, pas ailleurs. ‘Je n’ai rien voulu savoir parmi vous’, écrivit Saint Paul jadis aux Corinthiens, ‘sinon Jésus Christ, et Jésus Christ crucifié.’ Réaffirmons cette option radicale.

Autrefois, chez nous, être chrétien signifiait, en quelque sorte, faire partie de l’équipe gagnante. Ce n’est plus le cas. Le règne du Christ n’est pour autant mis hors jeu. Au contraire. Notre monde est blessé. Il affronte la réalité du péché et la fragilité des alliances humaines qui n’ont pas d’axe transcendent. La société (et, il faut le dire, parfois l’Église aussi) ressemble à une communion brisée. C’est évident: nous avons besoin de rédemption.

Il est temps alors de nous rassembler autour du Roi pour marcher paisiblement sous son étendard, et pas sous un autre. ‘Sa domination est une domination éternelle, qui ne passera pas’ — mais elle ne s’impose pas non plus. Elle se réalise dans des vies librement données pour devenir christophores, aptes à répandre partout le doux parfum du Jésus-Christ. Les rois de cette terre, soient-ils couronnés ou autoproclamés, ont des pieds d’argile. Ça se voit. Seul le Fils de l’homme, élevé de terre, règne à jamais. Il nous attire. Il nous appelle. Ne le délaissons pas. A lui la gloire pour les siècles des siècles. Amen.

‘Le Roi de gloire’. Icône peinte par Solrunn Nes (www.ikonmaleri.no).